Mes amis devenus
Jean-Claude Mourlevat
Présentation
Ouessant.
Accoudé à l’embarcadère, un homme scrute la ligne
d’horizon.
Dans quelques instants, le ferry va se dessiner dans le
lointain et lui apporter ses quatre amis. Le premier est
comme son frère, mais il n’a pas revu les trois autres
depuis quarante ans.
Le vent fouette son visage ; les mouettes crient ; le jour
décline.
Lours’ est-il toujours une force de la nature ? Luce est-elle
toujours aussi folle ? Mara ressemble-t-elle encore
à celle qui l’avait ensorcelé, autrefois ?
Et lui-même, comment sera-t-il à leurs yeux ?
«[…] j’avais comme lui, à force de
ruse et de mensonges, échappé
jusque-là à tous les banquets de la
classe, l’équivalent pour moi d’une
parade des monstres, et je comptais
bien mourir sans en avoir célébré
aucun. Retrouver tous les dix ans les
mêmes personnes chaque fois plus
enlaidies de bedaines, de calvities,
de taches, de rougeurs, de pâleurs,
de mollesses, équipées de lunettes,
d’appareils auditifs, et qui vous
renvoient à votre propre décrépitude,
non merci.
Nous deux, je voulais dire Jean et
moi, étions restés des types tout à
fait épatants, jeunes d’esprit, drôles,
mais les trois autres pouvaient très
bien avoir mal tourné. Il a ri et m’a
rétorqué que Lours’ était devenu
kinésithérapeute et Luce
documentariste, ce qui inspirait
plutôt confiance, non ? Je n’ai pas
compris son raisonnement. Est-ce
qu’être kiné ou documentariste était
une garantie de qualité humaine ? Il
a dit que les gens ne changeaient pas
comme ça, et comme je restais
sceptique, il a usé de sa botte secrète :
– Revoir Mara ne te ferait pas
plaisir ?»
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Jean-Claude Mourlevat (fiche complète)