Présentation
Lignes de vies
Récits et existence chez les romantiques allemands
Le romantisme allemand est d’abord une aventure créatrice collective qui se présente comme une nébuleuse de talents, de personnalités, de poèmes, de récits, de fragments, d’idées, de noms propres mais aussi de villes comme Iéna, Heidelberg, Dresde, Berlin.
Jamais auparavant des artistes n’avaient eu à ce point le sens de la vitesse et de l’inachèvement, si nécessaire pour rendre compte de ce qui passe et se passe. Jamais auparavant des artistes n’avaient eu simultanément le sens de leur singularité et le sens d’une communauté élective et complice.
Car les romantiques allemands, qui ne cessent de bouger, de voyager comme des nomades, de s’écrire des lettres, de se perdre de vue et de se retrouver, ont su entretenir des liaisons amicales, amoureuses, intellectuelles, sensibles, parvenant à créer cette ambiance étrange mais inimitable qui n’a rien à voir avec l’unité d’une doctrine ou avec une contrainte esthétique mais qui en fait le premier mouvement de la modernité en Europe, mouvement qui ne se laisse peut-être comparer qu’à ce que sera, au vingtième siècle, le surréalisme.
L’histoire de ces liaisons, de ces « affinités électives », est en elle-même aussi captivante et essentielle que la circulation des oeuvres.
Il faudrait aussi évoquer la façon dont les romantiques allemands aimaient ne faire tenir leur vie qu’à un fil. Fil ténu, arachnéen, fil du récit bien sûr, fil du rasoir impliquant morts précoces et suicides, fil que l’on tient encore machinalement entre les doigts en avançant dans la nuit, fil phosphorescent que l’on déroule en descendant la pente du labyrinthe de l’enfance sans la moindre certitude qu’une Ariane tient encore, quelque part, l’autre extrémité.
Leur but était moins de faire toute la lumière que d’explorer, à la bonne vitesse, les variations des ombres.
Collecteurs de contes, fabricants de textes mal identifiables, auteurs de fragments, de mots d’esprit, de beaux gestes, les romantiques allemands adressèrent en somme à l’« instant qui passe » une prière inverse de celle de Faust sur le point de signer le pacte. « Arrête-toi, tu es si beau. » disait Faust.
« Instant, tu n’es beau que parce que tu passes, et passes si vite. » semblent-ils murmurer.
Le livre, « Lignes de Vies », contient également deux contes modernes de Pierre Péju Le Cortège et Le Diable en Chartreuse.