Présentation
Violente satire de la bêtise bourgeoise ou hymne à une intelligence laissée en jachère par une humanité qui manquerait du courage et de l’obstination manifestés par Bouvard et Pécuchet ? Roman d’un vieil écrivain aigri par ses échecs éditoriaux et théâtraux, la mort de ses amis les plus proches et sa propre ruine financière ou pamphlet porté tout au long d’une vie et qui vient enfin à maturité pour être jeté à la face d’un public incapable même de le lire ?
Avec Bouvard et Pécuchet, son «testament» comme il l’annonce, Flaubert rend en guise de dernière copie un texte complexe et protéiforme qui répond à une triple ambition, à la fois projet de vie, projet philosophie et projet littéraire. L’écriture se suit alors comme une aventure qui interroge la nature du genre romanesque en discutant la nécessité même des personnages, en revenant sur les principes esthétiques de structure pyramidale chers à l’auteur et en occupant in fine une place toute singulière dans la production flaubertienne, forte de ses si nombreuses spécificités au nombre desquelles l’inachèvement n’est que la plus visible. En proposant une conception souvent contradictoire du Savoir, l’écrivain-intellectuel mêle à sa critique de la Bêtise une remise en cause violente de la société où l’humour, le grotesque et l’ironie apparaissent comme les armes les plus redoutables. Fort d’une posture de misanthrope assumée, Flaubert s’empare du Savoir comme d’un masque fait pour un écrivain définitivement supérieur.
Par son dernier roman, c’est bien l’avenir de la littérature que Flaubert interroge : le discrédit jeté sur la parole humaine autorise-t-il encore une parole littéraire et la dénonciation des réalismes prétendus au profit des thèses de «l’art pour l’art» n’est-elle pas autre chose qu’un plaidoyer nihiliste ? Où situer une telle oeuvre dans toute la littérature et de fait comment envisager encore des héritiers à une forme romanesque si novatrice quand elle ne peut que condamner au silence les futurs Beckett, Cioran et autres Ionesco…