Présentation
Il y a un quiproquo autour de Céline. De quel Céline parle-t-on ? Celui du Voyage au bout de la nuit ? Celui des pamphlets ? Celui de l’après-guerre ?
On aimerait partager la désinvolture de ceux qui admirent tout Céline sans arrière-pensée. Pasolini, très remonté contre la célinolâtrie française, évoquait à ce propos une « admiration inconditionnelle devenue lieu commun ». Céline antisémite (et prosélyte) avant, pendant et après les camps d’extermination, ce n’est tout de même pas comme Voltaire ou Shakespeare. La responsabilité historique d’un écrivain ne se mesure pas essentiellement à son degré d’allégeance ou d’adhésion à un parti, mais plutôt à la façon dont il s’est fait le porte-voix, auprès d’un public qui dépasse largement le cercle des amateurs de littérature, des idées barbares et totalitaires de son temps, à la façon dont il leur a conféré une légitimité littéraire, à la façon dont ses propres fantasmes, se nourrissant des idées grégaires et lyncheuses, les ont réactivées, à son impuissance à penser ce vertige, ou encore à son incapacité à se raviser.
La question centrale est au fond : comment l’Histoire passée continue-t-elle à produire du présent ? Faire comme si le débat était clos, le simplifier, empêcher la lecture historique ou politique de Céline, ce serait exercer une autre forme de censure.